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Promenade dans le knot garden de Mélanie Klein

di Florence Guignard

Je dois à Franca Munari l’honneur de publier dans un ouvrage du Centro Veneto et la découverte du knot garden. Grâce à elle, j’ai appris que tout était pensé dans un tel jardin : la configuration, les limites, les espaces, et les plantes qui y poussent, dont on dit qu’il s’agit généralement de ces plantes aromatiques et souvent thérapeutiques qu’on appelait autrefois en français des « simples ». C’est exactement ce que l’on attend, en psychanalyse, des concepts proposés au fil du temps par plusieurs psychanalystes, et l’on peut rêver que Freud aurait aimé cette autre métaphorisation de sa métapsychologie.

C’est donc avec grand plaisir que je vais me lancer dans ce joli labyrinthe, pour y repérer, parmi tous les apports de Mélanie Klein, ceux qui m’ont le plus permis de développer tant mon travail clinique que ma réflexion théorique.

Mélanie Klein, c’est d’abord la figure d’une femme extrêmement intelligente et courageuse, que son expérience analytique personnelle avec ces deux géants de la psychanalyse que furent Sandor Ferenczi et Karl Abraham a ouverte à une capacité de penser exceptionnellement vaste et hardie.

C’est aussi le modèle d’une personne loyale, dont on peut observer l’honnêteté intellectuelle tout au long de son œuvre. L’une des lectures intéressantes que l’on peut faire de celle-ci consiste à y relever toutes les références qu’elle y donne à l’œuvre de Sigmund Freud. On peut alors vérifier personnellement la rigueur de sa compréhension de l’œuvre du maître qui n’a jamais voulu la reconnaître.

Anna Freud a bon dos, dans cet aveuglement de Freud. On pourrait aussi y voir combien il fut choquant pour Freud de découvrir que quelqu’un puisse aller plus loin que lui – cf. le sort de son amitié avec Ferenczi – et, pis encore, qu’il s’agisse d’une femme ! Car Mélanie Klein, dans sa grande et courtoise modestie, avait raison : elle a prolongé l’œuvre de Freud sans la trahir pour autant.

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Si je devais nommer la première plante du knot garden qui m’a toujours été indispensable dans mon travail, je nommerais la relation d’objet partiel, ce mode de fonctionnement qui sous-tend durant la vie entière la relation d’objet total. Consciente et policée, cette dernière se craquèle bien vite en cas de conflit intrapsychique et/ou de désaccord avec l’un de nos semblables, laissant apparaître le théâtre vivant de la vie psychique, avec le foisonnement de ses personnages, objets partiels issus de nos projections identificatoires à des aspects perçus, le plus souvent inconsciemment, chez les personnes de notre passé.

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Une deuxième plante du Klein’s knot garden que je nommerai également, c’est la projection identificatoire[1] – ou identification projective –, sur laquelle j’ai tant travaillé et écrit, dans l’espoir naïf de rendre ce concept suffisamment clair pour que mes collègues Français se décident à l’utiliser dans toute son acception, rendue encore plus limpide par les travaux de Bion.

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Poursuivant ma promenade dans ce beau jardin, je rencontre une phrase de Mélanie Klein qui a constitué le fil conducteur de toute ma pratique et de tout mon enseignement : « L’enfant met en scène la façon dont il se sent traité par ses objets internes[2] » … à quoi j’ai ajouté qu’il en est de même avec l’adulte ; il appartient au psychanalyste de comprendre cette mise en scène et de savoir, à son tour, « se mettre en jeu », comme l’écrit si bien Marta Badoni.[3]

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Je vais arriver maintenant à un lieu du knot garden où je m’installerai pour le reste de ma contribution. Il s’agit du lieu quelque peu rocailleux des deux derniers chapitres du premier livre de Mélanie Klein : La psychanalyse des enfants[4]. La hardiesse est impressionnante, du projet de l’auteure de décrire en détail le développement psychosexuel du garçon, puis celui de la fille, jamais abordé jusqu’alors avec autant de détails et de précision. Cet écrit contient des pépites qui demeurent, aujourd’hui encore, extrêmement précieuses.

Je m’arrêterai à l’une d’elles : la proposition révolutionnaire de Mélanie Klein de conceptualiser un espace psychique qu’elle désigne comme « la phase féminine primaire commune aux deux sexes ». Elle en fait le lieu de l’identification du bébé des deux sexes au désir de la mère pour le pénis du père et, très vite, pour la personne du père. C’est durant cette phase féminine primaire que les capacités d’introjection connaissent un développement considérable ; c’est aussi dans cette phase que se trouve le point de fixation de l’homosexualité. Ainsi, le rôle essentiel des capacités d’introjection pour le développement de la personnalité et de l’intelligence se trouve ancré par Mélanie Klein dans l’investissement du féminin. Ce point de vue révolutionnaire a été étouffé à l’époque de la publication du livre – 1932 – car il était trop en avance sur son temps. Plusieurs analystes en ont cependant compris l’importance ; j’en fais partie et j’ai utilisé cette observation pour plusieurs années de recherches et d’échanges sur la question du féminin.

Associé par Freud[5] à la forme du masochisme qu’il qualifie aimablement de « normale », le féminin entraîne immédiatement le maternel dans son sillage associatif. C’est Bion qui a mis en lumière la fonction vitale de l’activité de « rêverie » de la mère pour le développement psychique du nouveau-né – Bion qui a dû élever seul sa fille Francesca, dont la mère était morte en couches. Notons au passage combien il a dû faire appel à de remarquables compétences d’introjection et d’identification au maternel de sa propre mère et de sa nourrice, pour proposer ce concept de « capacité de rêverie de la mère », dont il a fait rien moins que le prototype de la « capacité de penser les pensées », dans sa théorie psychanalytique révolutionnaire qui considère que les pensées sont parmi nous, et qu’elles sont « en quête d’un penseur ».

Pour résumer ma contribution à ce large domaine du féminin défriché par Mélanie Klein, je retiendrai ce qui suit :

  1. J’ai dissocié le féminin du masochisme et suggéré qu’il existe, entre ces deux caractéristiques du fonctionnement psychique humain dans les deux sexes, une relation de l’ordre d’un Ruban de Moebius : l’un des fonctionnements apparaît lorsque l’autre disparaît et réciproquement[6].
  2. J’ai également différencié l’investissement, par la femme, de l’ancrage psychosomatique de l’espace du féminin, et de l’espace du maternel dans son corps propre. J’ai fait l’hypothèse que le passage du col de l’utérus, lieu de « la césure de la naissance »[7] pour le bébé, constitue également pour la femme le lieu psychosomatique de passage entre l’investissement de son fonctionnement du maternel et celui de son fonctionnement du féminin.
  3. J’ai proposé un espace psychique du maternel primaire qui contiendrait les toutes premières relations du nouveau-né avec sa mère, un espace d’accordage de leurs projections identificatoires respectives, celle du bébé qui utilise sa mère pour contenir ses angoisses et celle de la mère – sa capacité de rêverie – qui lui restitue une expérience du monde apaisée, « détoxiquée », à nouveau perméable à « la beauté du monde » si bien évoquée par Donald Meltzer dans sa conception originale du « conflit esthétique».[8] Cet espace est celui où se développent les relations d’objet partiel, dans toute leur diversité et leurs contrastes, fortement dépendantes des caractéristiques des relations qu’entretient son entourage avec le nouveau-né, notamment, de la sensibilité de cet entourage à la beauté de cette vie nouvelle et de son ouverture aux découvertes quotidiennes effectuées par ce nouveau citoyen du monde.

L’espace du maternel primaire est l’espace de la constitution d’un contenant pour les contenus psychiques du nouveau-né, et de l’introjection de la relation contenant-contenu qui s’y développera la vie durant. C’est aussi l’espace de la constitution du premier palier des défenses psychiques que sont le clivage, le déni, l’idéalisation et la projection identificatoire. La santé de ce premier niveau de compétences défensives garantira au petit d’homme une approche personnelle de la relation entre le principe de plaisir et le principe de réalité.

Du point de vue des « positions » décrites ultérieurement par Mélanie Klein, on peut considérer que l’espace du maternel primaire contient les contenus du fonctionnement psychique de la position paranoïde-schizoïde, avec tout l’éventail des angoisses d’anéantissement qui s’y rattachent. C’est donc aussi dans cet espace du maternel primaire que l’on peut rechercher un point de fixation aux pathologies schizoïdes et paranoïdes.

Du point de vue des fantasmes originaires, j’y rattache le fantasme de retour à une vie intra-utérine et le fantasme de castration.

En ce qui concerne la généalogie des pulsions[9], je considère le maternel primaire comme le premier champ de déploiement, dans leurs valences positives et négatives, des pulsions d’amour (L±), de haine (H±) et de désir de connaître (K±).

Dans le domaine des identifications, cet espace du maternel primaire est celui de la sortie d’une identification adhésive vers des formes d’identification qui découvrent un certain degré de distinction entre le noyau du Moi et les objets, d’abord externes, puis également internes, essentiellement partiels, mais parfois déjà totaux, dans les relations de l’infans avec son entourage.

Pour écouter ce qui se passe dans cet espace du maternel primaire, il faut au psychanalyste une solide « capacité négative », telle que le poète Keats l’a définie[10], et que Bion l’a reprise dans son édifice métapsychologique.[11] En effet, il se trouve confronté à un matériel analytique préverbal, dans lequel les langages sensoriels et moteurs peuvent aussi bien exprimer que masquer les mouvements relationnels et identificatoires très primitifs et difficiles à se figurer, davantage encore à mettre en mots. Cet espace est aussi le creuset du transfert négatif, du négativisme et de la réaction thérapeutique négative.[12] En ce qui concerne les auteurs francophones sur ce vaste sujet, je renvoie notamment le lecteur aux beaux travaux d’André Green[13] et de Jean Guillaumin[14] sur « le négatif ».

Enfin, du fait de la plasticité et de la fragilité de l’organisation psychique à l’aube de la vie, je pense que l’espace du maternel primaire est aussi le lieu privilégié du déploiement de ce que Bion[15], après Freud[16], désigne comme la mentalité de groupe. Dans cette mentalité de groupe, je ne considère pas seulement les aspects positifs qui permettent à un individu d’éprouver un sentiment d’appartenance et de solidarité envers son groupe familial, social ou professionnel, mais également les aspects négatifs de celle-ci, aspects essentiellement liés à la mentalité de la horde primitive, et qui constituent un réservoir de préjugés et de complotismes en tous genres, substituant à la pensée véritable la propagande de la non-pensée, enfermant l’être humain dans une mentalité primitive de non-pensée, et l’isolant du même coup d’une communication vivante avec ses semblables.[17]

Il me paraît donc essentiel pour le psychanalyste en séance de garder à l’esprit la dimension du « maternel primaire » lorsqu’il écoute les aspects les plus archaïques de ses patients. Ce n’est pas un hasard, si Bion a fait de la capacité de rêverie de la mère le prototype de la capacité de penser. Sans la compréhension de la rencontre répétée de la projection identificatoire du patient avec celle du psychanalyste en «rêverie maternelle », il sera bien difficile au psychanalyste de sortir de ce que Bion appelait « parler à propos de la psychanalyse » pour plonger dans son difficile métier qui est de « fonctionner comme un analyste ».

  1. Ma proposition d’un second espace psychique, celui du féminin primaire, prend largement ses racines dans ce que Mélanie Klein, en 1932 déjà, dans La Psychanalyse des Enfants[18], a appelé la «phase féminine primaire commune aux les enfants des deux sexes», qui survient autour du quatrième mois de la première année de vie. Cette phase occupe exactement la place ordinale que tiendra, dans la deuxième partie de son œuvre, le seuil de la position dépressive, avec sa description de l’acmé des défenses par l’avidité et le sadisme, contre la reconnaissance de l’unité et de l’altérité de l’objet, ainsi que contre la culpabilité dépressive qui en découle. Rappelons également que, pour M. Klein, la position dépressive fait le lit de l’Œdipe primitif, qui s’y origine dans une succession temporelle immédiate.
  2. Klein fait de la phase féminine primaire la description suivante :

Au moment du conflit de perte d’objet lié au sevrage et sous l’influence de la mise en activité des pulsions génitales précoces, le pénis devient, pour le garçon comme pour la fille, un objet de désir, aussi bien en tant qu’objet nouvellement investi que comme substitut du sein perdu. L’avidité pour la possession de cet objet nouveau surcharge le plaisir de succion, jusque-là prévalent, d’un accroissement de pulsions sadiques à l’égard du corps maternel, éprouvé comme contenant toutes les richesses désirables, et plus particulièrement, le pénis paternel. Pour M. Klein, cette conjonction du sein et du pénis comme objets de désir constitue une configuration particulièrement favorable à l’accroissement et à l’organisation des processus d’introjection. Du point de vue de la psychopathologie, elle voyait dans cette phase le point de fixation de l’homosexualité masculine. Maintenant que la complexité de cette configuration relationnelle est mieux reconnue et sortie du champ de la psychopathologie, il demeure néanmoins évident qu’elle entretient des liens privilégiés avec le féminin, qui seront à découvrir dans chaque situation analytique, chez chaque patient, et pas seulement chez les homosexuels actifs. 

J’ai ajouté quelques propositions personnelles à cette description par Klein de la phase féminine primaire :

  1. a) Une fois bien installé, pendant le premier trimestre de sa vie, dans l’espace d’intimité du maternel primaire, le bébé va pouvoir investir de nouveaux aspects du monde extérieur, grâce à son intégration sensorielle et motrice, notamment, l’avènement de la station assise et de la coordination vision-préhension. Le mouvement de déplacement mis en route en lui par le conflit entre un dehors-trop-perçu et un dedans-clivé-par-la-césure-de-la-naissance va ainsi le pousser vers l’exploration de son monde psychique interne, sur le modèle de son investissement de la totalité de son tractus digestif[19], modèle somato-psychique de sa pensée naissante, qui va rapidement donner lieu à des premières formes de symbolisation.
  2. b) Guidée par l’intuition de sa capacité de rêverie, la mère va se sentir moins essentielle à la survie de son enfant, et va pouvoir reprendre ses investissements personnels, professionnels et amoureux. Sur le plan de son activité sexuelle, elle sera prête à vivre ce que D. Braunschweig et M. Fain ont désigné comme « la censure de l’amante[20]», si elle est soutenue par l’amour et le désir de son compagnon.
  3. c) Quant au bébé, il va découvrir un autre espace : celui de l’altérité, avec son corollaire : la solitude humaine. Ces deux composantes de l’espace du féminin primaire vont forger son individualité, et elles l’accompagneront fidèlement jusqu’à sa mort, pour le meilleur et pour le pire.
  4. d) Du point de vue des fantasmes originaires, l’espace du féminin primaire est le lieu du fantasme de séduction et du fantasme de scène primitive. C’est à partir de l’interaction de ces deux fantasmes avec l’intensification de ses pulsions génitales que le bébé de quatre mois va s’organiser. Il le fera au moyen de ses capacités d’introjection, présentes dès la naissance, mais tout particulièrement sollicitées à se développer dans la configuration que je viens de décrire. Celles-ci l’aideront à effectuer le deuil nécessaire de sa « mère du maternel primaire », dont il va pouvoir garder la vie durant l’infinie variété de traces introjectées, essentiellement sous la forme d’objets partiels, puis, progressivement dans son ensemble de caractéristiques d’objet total et distinct de lui-devenant-sujet.
  5. e) J’ajouterai que la qualité plus ou moins sadique ou, au contraire, épistémophilique, de ses processus d’introjection dépendra pour une bonne part de la nature nouvelle de l’investissement dont il est maintenant l’objet de la part de son environnement parental et social[21].
  6. f) Ainsi, l’espace du féminin primaire est-il occupé, chez le bébé, par la représentation inconsciente de la configuration correspondant à la désidéalisation du couple mère-bébé, la fin de la « lune de miel », de la « maladie normale de la mère » – qui, pour être normale, n’en est pas moins une maladie. La vie du couple parental, de la famille et de la société reprend ses droits, au moment où le bébé est davantage prêt à effectuer des déplacements d’investissements. Comme l’avait repéré Mélanie Klein, cet espace psychique contient la première triangulation observable chez l’être humain. C’est le lieu premier du désir pour l’Autre-de-la-mère, le lieu de l’absence, du négatif, de l’abandon réciproque et, par conséquent, de toute la potentialité des processus de deuil. On peut donc à bon droit le considérer comme le lieu de naissance de toute problématique œdipienne. Du bon établissement de cet espace va dépendre l’équilibre économique de la bisexualité psychique en relation avec le sexe biologique de l’individu.
  7. g) La constitution de ce nouveau champ d’investissement entraîne une complexification et une réorganisation du mode de relation du bébé, tant dans ses aspects narcissiques qu’objectaux : il va être en mesure d’organiser des relations-de-relations, entre le champ du maternel primaire et celui du féminin primaire. En corollaire, l’organisation de ses identifications prendra un appui plus signifiant sur ses mécanismes d’introjection, menant à un accroissement de ses identifications introjectives[22], qui constituent précisément le noyau du Moi. Ainsi, le destin du Moi se trouve-t-il intrinsèquement lié à celui du féminin.

 

Quelques réflexions pour conclure

Il me faut sortir du labyrinthe du knot garden proposé par Franca Munari. Je le ferai en prenant les raccourcis suivants, principalement destinés à inviter d’autres que moi à s’engager à leur tour dans les voies que j’ai esquissées :

Le modèle théorique d’un espace du maternel primaire encadre utilement les observations et les hypothèses élaborées sur les débuts de la vie psychique et de la capacité de penser. Quant au modèle d’un espace du féminin primaire, il est essentiel à l’exploration des relations œdipiennes ultérieures et du devenir de la bisexualité psychique, au travers des identifications primaires.

Les espaces psychiques du maternel primaire et du féminin primaire entretiennent avec les pulsions et leurs destins des liens très étroits, notamment par le biais de la « co-excitation libidinale », au point d’articulation du désir-d’être-connu avec le désir-de-connaître – en d’autres termes, à la conjonction des pulsions d’amour et de haine avec la pulsion épistémophilique. Si donc, comme l’a dit Freud, la libido est d’essence mâle, je pense que l’on peut situer le désir de connaissance – connaître-être-connu – du côté de l’intrication du masculin avec le féminin.

Ces composantes maternelles et féminines de la pulsion seront évidemment mal acceptées par l’Infantile[23] de chaque être humain, en raison du caractère narcissiquement insoutenable pour lui de la révélation de la sexualité de sa propre mère. Puissamment refoulée chez les névrotiques, elle sera clivée et forclose en tant que telle chez les pervers et les psychotiques. À propos du Petit Hans, j’ai écrit ailleurs[24] que je voyais là l’origine de la soi-disant théorie infantile « unisexe ».

La projection et l’introjection constituent la respiration de la vie psychique, et l’on trouve rarement un dysfonctionnement de l’une sans observer également des troubles dans l’autre. On connaît de nombreuses pathologies de l’introjection, à commencer par le mérycisme, à suivre par l’anorexie. Rappelons également les états autistiques, les TDAH[25] les divers degrés de l’inhibition intellectuelle aboutissant aux syndromes de débilité mentale psychogène. Ces troubles de l’introjection viennent souvent s’ajouter à des dysfonctionnements de la projection, pouvant aller jusqu’à des états paranoïdes ou paranoïaques.

Rappelons aussi que l’analité – construite à la suite de l’espace du féminin primaire – est souvent utilisée comme une défense contre la reconnaissance de la différence des sexes et contre la castration qu’elle implique pour les sujets des deux sexes.

En 1985, dans sa discussion de ma conférence à la SPP sur Le sourire du chat (voir note 6), André Green souligna l’impossibilité de définir le féminin et le masculin autrement que l’un par rapport à l’autre. Ceci renvoyait d’ailleurs implicitement à la définition de la « phase féminine primaire » par M. Klein, avec l’identification de l’infans au désir de la mère pour le pénis du père. Je me demande aujourd’hui si leur coexistence dans les identifications fondatrices de la bisexualité psychique ne fonctionne pas également sur le mode d’un Ruban de Moebius. Cette hypothèse, qui implique une souplesse suffisante du psychisme pour intégrer un va-et-vient permanent entre ces deux positions, demanderait à être examinée tout particulièrement dans les nombreux cas de dysphorie de genre.

 E la nave va…

Chandolin, 13 novembre 2022

 

——

[1] J’ai fini par adopter cette traduction en français de projective identification : en effet, elle respecte mieux la logique de la succession temporelle de ces deux mouvements psychiques, telle qu’elle est proposée par l’anglais : la projection d’abord, qui entraîne immédiatement l’identification à sa suite.

[2] Klein M. (1929). La personnification dans le jeu des enfants. Essais de psychanalyse, Paris Payot, pp. 242-253 (1967).

[3] Badoni M. (2023). Prendersi in gioco. Una psicoanalista racconta. Milano, Raffaello Cortina Editore.

[4] Klein M. (1932). The Psychoanalysis of children. London Hogarth Press, London and the Writings of Melanie Klein, vol. II., London, The Hogarth Press, 1975. Trad. française : J.B. Boulanger, La Psychanalyse des enfants, Paris P.U.F. 1959, 2e éd. : Paris P.U.F. 1978.

[5] Freud S. (1924). Le problème économique du masochisme, O.C.F. XVII Paris P.U.F. 1992 p. 9-23.

[6] Guignard F. (1986). Le Sourire du Chat ; Réflexions sur le féminin à partir de la pratique analytique quotidienne. Bull.  Société Psychanalytique de Paris n 9, Paris P.U.F. Repris dans : Guignard F 1997 Épître à l’objet, Coll. Épîtres Paris P.U.F. p.129-145.

[7] Guignard F. (1997). Mère et fille: entre partage et clivage, EPCI. Publié dans: Guignard F. 2002 La relation mère-fille. Entre partage et clivage, Paris, In Press, sous la direction de Thierry Bokanowski et Florence Guignard, Coll. de la SEPEA.

[8] Meltzer D. & Harris Williams M. (1988). The Apprehension of beauty. The role of aesthetic conflict in development, art and violence, Clunie Press Perthshire.Tr. fr. D. Alcorn L’appréhension de la beauté. Le rôle du conflit esthétique dans le développement psychique, la violence, l’art. Larmor Plage, Éditions du Hublot, 2000.

[9] Guignard F. (1997). Généalogie des pulsions, Épître à l’objet, Paris P.U.F. Coll. Épîtres p. 26-32.

[10] Keats J. (1817). December 1817, the poet John Keats (1795-1821) wrote to his brothers: “I had not a dispute but a disquisition with Dilke, on various subjects; several things dovetailed in my mind, & at once it struck me, what quality went to form a Man of Achievement especially in Literature & which Shakespeare possessed so enormously – I mean Negative Capability, that is when man is capable of being in uncertainties, Mysteries, doubts, without any irritable reaching after fact & reason” Forman, 1952, p. 72.

[11] Bion W. R. (1970). Attention and Interpretation. London Tavistock Publications [Reprinted London: Karnac Books 1984].

[12] Bégoin-Guignard F. (1989). Symbolisation et géographie des identifications, Rev.Franç.de Psychanal. 6,1989.

[13] Green A. (1993). Le Travail du négatif, Ed.de Minuit.

[14] Guillaumin J. (1987). Entre blessure et cicatrice. Le destin du négatif dans la psychanalyse. Champ Vallon.

[15] Bion W. R. (1959). Experiences in Groups, tr. fr. Recherches sur les petits groupes, 1965 P.U.F.

[16] Freud S. a) (1912–1913). Totem und Tabu 1912-13. S. Fischer, Bd. IX, 1989. b) Freud S. (1921). Massenpsychologie und Ich-Analyse, 1921. S. Fischer, Bd. IX, 1989.

[17] Bégoin-Guignard F. (1992). Œdipe et la Horde primitive, Culpabilité et mentalité de Groupe, Psychanalyse dans la Civilisation. Paris.

[18] Klein M. (1932). La Psychanalyse des Enfants, trad. J. Boulanger, PUF 1959.

 

[19] Guignard F. (1995). Prégénitalité et scène primitive, Rev. Franç. Psychanal. n° 3, 1995.

[20] D. Braunschweig et M. Fain (1975). La Nuit, le Jour, P.U.F.

[21] Guignard F. (1981). Pulsions sadiques et pulsions épistémophiliques, La Curiosité en Psychanalyse, Ouvr. coll., édit. H. Sztulman, Privat Toulouse, ouvrage épuisé. Repris dans : Guignard F. 1997 Épître à l’objet, Coll. Épîtres P.U.F. Paris, p. 75-86.

[22] À mon sens, les identifications introjectives se laissent assez bien définir sur le modèle de la culture, dont on dit que « c’est ce qui reste quand on a tout oublié ».

[23] Guignard F. (2021). Podcasts de l’Association Psychanalytique Internationale https://link.chtbl.com/-KJqtMpr En français, https://link.chtbl.com/p-eqlPO- Toutes langues.

[24] Guignard F. 1993 Différence des sexes et théories sexuelles. Désir et danger de connaître, Rev. Franç. Psychanal., 1993, n° spécial Congrès.

[25] Guignard F. (2019). Les devenirs de la sensorialité : un itinéraire de la capacité de penser, des TDAH à la petite madeleine de Proust, en passant par la mentalité de groupe de Bion. CIRPPA Groupe et sens, érès 2020.

Florence Guignard

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